EXTRAIT DU COMPTE RENDU FAIT PAR LE Dr MICHEL LECARPENTIER DE L'ATELIER N°5 AU CONGRÈS CROIX MARINE A VANNES 2004.

... Une association de secteur de Sainte Gemmes sur Loire accueillant dans une maison associative des enfants et des adultes pris en charge dans des services de secteur public. La plupart sont en situation de handicap, mais aussi en soin au long cours car leurs pathologies demeurent très actives.
La préoccupation première dans les pays de Loire se résume a deux questions : « comment ça peut tenir pour chacun ? Comment ça va tenir dans la durée ? » « Car il s'agit d'un travail de trente années de structuration permanente d'un secteur géodémographique, avec une seule et même équipe. Structuration favorisée par une décision de se tenir à la mise en oeuvre de clubs thérapeutiques facilitant l'articulation d'une vie quotidienne à l'intérieur de l'hôpital et en dehors de lui, jusqu'aux maisons de retraite et dans tous les dispositifs d'alternative à l'hospitalisation complète. Cette décision à profondément transformé l'activité de soin en permettant d'y articuler une approche intégrant la psychanalyse à la question de l'investissement dans la cité, au cours d'une histoire peu a peu élaborée et partagée par le personnel et les patients. 15 appartements accueillant 60 patients gravitent en liens, de nombreux clubs thérapeutiques, centres d'adaptation et de soins, des CATTP, CMP, un foyer de post-cure trouvent leur cohérence dans la politique de secteur et la mise en place d'un Comité de secteur intégrant la fonction du comité hospitalier « pour ne pas exclure l'intérieur de l'hôpital de l'investissement associatif». Chacun peut adhérer à la Fédération interclubs en pouvant dés lors bénéficier de l'ensemble des activités associatives et garder le contact avec ses amis, le personnel rencontre au cours de son cheminement thérapeutique et qui serait perdu de vue dans un cloisonnement hiérarchique classique. La, au contraire, discontinuité des investissements et continuité existentielle se tissent pour chacun ; même les plus en péril d'esseulement trouvent du sens à l'entreprise commune grâce a cette possibilité de colorer l'existence par les clubs et les relations transférentielles qu'ils favorisent et permettent de respecter. « La chronique écrite collectivement permet d'échapper à la chronicité ».
La décision récente de l'ARH de retirer a l'association et au secteur la gestion du foyer de post-cure de Rocheloire a gravement mis en péril certains patients en ne tenant pas compte de ce qui, au-delà de la logique administrative formelle, structurait leur existence par les contacts actifs, les liens transférentiels qui offraient a beaucoup une enveloppe capable de se substituer a 1'hôpital dans sa fonction contenant.
Pour se mettre à l'abri de tels risques de désappropriation destructrice des investissements des malades, l'idée vint collectivement de « racheter la Grande Rousselle » naguère loué, vieille ferme délabrée investie depuis longtemps mais risquant également la destruction de toute une histoire structurante, cette longue histoire collective structurant en effet l'histoire personnelle de chacun parfois même à son insu. Pour ce rachat, il fallait trouver de l'argent, tiers symbolique de ce collectif soignant a constituer : une SCI de 25 membres fut constitué le 20 juin 2003. Elle rassemblait des professionnels actuels ou anciens du travail de ce secteur et d'autres personnes de la société civile, 25 en tout s'engageant a préserver ce site et a y promouvoir des actions culturelles multiples avec les malades, tendant a modifier l'expérience de la folie. Les représentations sociales trouvent leurs sources dans les ségrégations ordinaires de la cité, du champ social, de l'hôpital dit intra hospitalier, de l'extrahospitalier, de la division du travail en spécialités et en spécialistes. Grâce à ce projet de partager la responsabilité de rénover et d'aménager cette très vieille maison vécue comme un éternel chantier, naît l'espoir d'un changement des mentalités à mesure que les malades se révèlent très créatifs.Ce partage remet en mouvement chacun dans son désir, et met en question cette division aliénante soignant soigné qui parait bien artificielle quand une autre logique que statutaire vient organiser les rapports humains. Foisonnent les événements, les rencontres, « chacun peut prendre place », « la maison est très belle, tous ont envie de s'y mettre », les infirmiers, mêmes « ceux qui semblaient peinards » ; les malades font la cuisine pour les infirmiers, « on ne les a plus sur le dos » constate quelqu'un, «le soin, c'est tout au long de la journée ». « Les clubs thérapeutiques se rencontrent la chaque jeudi, améliorent la qualité des soins » Il y a un temps mensuel de rencontre entre la Fédération des comites de secteur et la SCI de la Rousselle, cette dialectique crée de la vie, ouvre le possible d'une dimension transversale, loin du conformisme hospitalier: « nous cueillons des murs » écrit quelqu'un dans un poème après la cueillette de mures délicieuses.
Les enfants du service de pédopsychiatrie sont a 1'atelier la Fabrique, «ils produisent, dans un désir partage » ils décident de fabriquer un épouvantail. Les soins séquentiels prennent appui sur les quinze ateliers différents, dont la Fabrique « et ça tient». Il y a une surface de dépôts, une surface de fabrication, il est décide de ne pas trop ranger, de manière a laisser visibles les objets fabriques par chacun (« si c'est la, visible, alors je suis la, reconnu » effet structurant de miroir quand l'imaginaire trouve refuge dans la disposition des choses). Du bric-à-brac naît une ambiance, a condition de « mettre des mots sur ce que l'on fait, sur ce que l'on décide ».
Tout commence par une histoire inventée grâce a David qui parle du vent; on évoque les oiseaux, du désir énigmatique informe vient l'idée d'un épouvantail, Fabien est ailleurs..., « mais sans deux jambes, ça ne peut pas tenir », «il lui faut un squelette » et « pour sa tête, on peut prendre la boite aux lettres » ; « comment fixer ses yeux ? » Ca se construit, ça se construit... Gaétan donne un coup de pied a Factorus qui a désormais un nom, il empêchera un autre de le faire par la suite, « il faut veiller », il y a les risques, les maltraitances... Un enfant se fait traiter de handicapé par les autres enfants a l'école, il pense aux « petites bêtes, les petites bêtes qui peuvent mettre en danger Factorus, il demande de ses nouvelles, il demande aussi pour la première fois a être reçu, il veut « être vu sans maman ». Jim est le moteur créatif du groupe, son grand père était jardinier (et fin pécheur), sa rêverie prendra corps, son histoire aussi, de façon imprévisible, il passera haut la main en sixième à la fin de l'année scolaire alors qu'au début, son premier lego n'avait ni porte ni fenêtre (« maintenant, il y en a !.. »).
Marie-Christine, cadre de santé a participé à tout cela, les enfants lui ont dit « l'épouvantail fera peur aux intrus sur notre territoire », elle même précise : « il doit refléter nos peurs, il affiche sa douleur, il nous adresse des messages, il nous fait signe. » Pour les enfants, en cette fin d'année scolaire : « que va devenir Factorus ? Il ne peut pas rester tout seul à la Fabrique ! Il faut faire partir Factorus en vacances à la Rousselle. » Echange de courrier pour demander si c'est possible, réponse, repas pour discuter de tout ça, et finalement le ler juillet, il arrive à la Rousselle avec sa valise. Beaucoup d'enfants lui ont laissé des messages dans ses poches, sa tête-boite aux lettres... Que faire de ce courrier ? Pendant les vacances, les thérapeutes ont hésite, puis Factorus a écrit, il a demande des nouvelles des enfants. Ils lui ont répondu... L'histoire continue, la greffe de fantasmes aussi.
A partir de cette monographie, beaucoup de questions se sont posées, élabores, sur les clubs, l'aliénation sociale pas assez mise en question pour pouvoir accéder a l'aliénation psychopathologique, au morcellement corporel, à la question des affections dites « déficitaires ». Les clubs thérapeutiques offrent les conditions privilégiées permettant de lutter contre le repli, la ségrégation, les préjuges, les réputations des enfants comme des adultes qui surprennent a se montrer actifs sous un autre jour quand des événements de cette qualité se produisent. Les membres de l'équipe de Ste Gemmes peuvent aller dans les différentes activités du club dans le cadre de leur travail. Cela à permis une restructuration complète des rapports de travail, de responsabilité, d'initiatives, traitant les conflits, en suscitant d'autres qui ne restent pas fixes ou enkystes ; les oppositions artificielles entre les professionnels de l'intra et de l'extra sont remises en question alors que les malades, eux, circulent librement sur tout l'espace offert par le secteur quand il est anime par une construction associative.
Son mouvement offre des solutions de médiations nouvelles la ou les butées statutaires ne feraient que figer toute élaboration psychique dans des rituels fermes. La complexité du club devient 1'agent de la légèreté et de 1'inventivité. L'imprévu, l'inattendu, l'inouï, l'invisible peuvent avoir lieu. En revanche, il y a beaucoup de difficultés et de lourdeur à Edouard Toulouse ou la subvention du comité hospitalier a été supprimée en 2001, avec une mise en régie ou un compte d'économat. Pourtant l’article 93 a été intégré dans la loi de Santé Publique et permet parfaitement une structuration dynamique du travail comme dans l'expérience de Ste Gemmes, dormant au service public un outil efficace pour honorer sa mission au plus grand bénéfice des usagers et des personnels. On évoquait aussi avec tristesse le retour de la pointeuse à Limoges... avec à priori moins d'enthousiasme et peut-être d'efficacité...
La question de la structuration de l'outil de travail a beaucoup intéresse l'assistance, les soignants de ce service de Ste Gemmes ne sont pas assignés a une localisation unique de leur poste, il n'y a pas de veilleurs professionnels, il y a une organisation collective pour que la quotidienneté des responsabilités soit assurée par tous en roulement, sans mettre les cadres dans une position de gestion du planning des infirmiers ou du personnel dit non soignant. Beaucoup de novation donc depuis plusieurs décennies qui ont ouvert des questionnements a beaucoup des participants auxquels tout cela semblait hors d'atteinte dans leur établissement
Monsieur Delorme, vice-président de l'UNAFAM a félicité les orateurs, il s'est montre passionné et ému d'une telle proximité avec les personnes. Chacun sentait bien en effet combien les intervenants avaient une connaissance partagée et approfondie de ceux dont elles avaient la responsabilité thérapeutique.
Dominique Dessors qui travaille avec Christophe Dejours sur la psycho dynamique du travail analysa l'expérience en précisant l'importance du travail, de sa « centralité dans ce qui vient conjurer la violence sociale» A ce niveau, l'expérience relatée est exemplaire de cette élaboration collective nécessaire, oeuvre commune qui requiert coordination, coopération, savoir-faire, mobilisation permanente pour « tenir ». « La Rousselle c'est du futur, elle concrétise une expérience forte de cette nécessité d’avoir à inventer. La recherche conjointe mouvement et du cadrage rend le déplacement tout le temps possible, ce double mouvement renonce à la passivité, tout le monde évolue dans cette plate-forme relationnelle. Votre travail produit quelque chose, ce n’est pas le zèle conformiste qui obéit du matin au soir, mais il rejoint la question du zèle le plus riche : celui qui rajoute ce a quoi la prescription du travail ne pense jamais. » Dominique Dessors questionnait l'arrière plan du dispositif. L'hypothèse de cet arrière plan ne serait-il pas celui du désir travaillé, dont la mise en oeuvre collective est indispensable pour pouvoir construire malgré la prévalence des processus psychiques destructeurs tant chez les personnes psychotiques que dans les réorganisations sociétales ou chacun ne devant pas coûter plus qu'il n'est sensé rapporter, risque la ségrégation, voire 1'exclusion, la rupture existentielle. Hors du monde du transfert, la détresse menace. Chacun doit pouvoir constituer 1'espace indispensable à une existence qui vaille la peine d'être vécue. Cet automouvement de chacun est facilite par la mise en jeu de son désir dans une convivialité attentive.
…..L'atelier aura porté témoignage qu'en effet, il importe de prendre position quand «ça n'est pas possible » et d'ouvrir un espace commun pour une possibilisation. En d'autres lieux, Lucie Aubrac racontait quelque chose de comparable..., et il y eu, en psychiatrie, Saint Alban ou pour la première fois, une salle commune se transforma en club thérapeutique. Notre argument de départ l'évoquait, un certain nombre de réponses ont pu s'ébaucher aux questions qu'il soulevait dans le cadre de cet atelier.
Depuis 1942 a Saint Alban, les associations ont toujours du « soigner l'hôpital » pour faciliter les processus thérapeutiques des malades et le travail des professionnels. Aujourd'hui, l'hôpital et le secteur manquant de lits, de personnel médical et para médical, ne peut-on dire qu'ils sont désormais mis en situation de handicap par les politiques de Santé Publique ? Ils doivent s'adapter et redéfinir leurs métiers et leurs objectifs. La continuité des soins actifs, à tous les ages, est touchée par cette précarisation objective. Les Comités Hospitaliers, les Clubs thérapeutiques et les Associations départementales CROIX-MARINE continuent, dans cette situation difficile, de permettre aux malades de ne pas se trouver livrés « au sirop de la rue », à la sédimentation dans la cite, voire à l'exclusion.
Dr Michel Lecarpentier